Chacun des Bouts de craie de Charles René Koung est une strate à franchir entre les embuches qui jonchent le parcours professionnel d’un enseignant au Cameroun. Si la vocation lui a ouvert les portes des campus qu’il fréquente assidument depuis plus de vingt ans, Charles René Koung reconnait que le sacerdoce auquel souscrivent ses collègues une fois sortis des écoles normales ne suffit pas à éclipser cette croix dont la lourdeur est de tous les objectifs pédagogiques opérationnels. Enseigner est une idylle qui résiste à l’usure de la modicité des salaires, de la déconsidération du grand public et de l’incertitude des lendemains. Bouts de craie (Ifrikeya) compile les déconvenues d’un enseignant dont l’histoire est un miroir reflétant la sinistrose qui se meut dans les campus scolaires. Vacataire à ses débuts, l’auteur se raconte dans chacun de ces épisodes écrits à la craie sur le tableau de ses tourments. Il partira en grommelant son désappointement du premier collège où seront fourbis ses rudiments à l’enseignement et ira se vautrer dans la maçonnerie où la paie était plus régulière. L’aventure sur le chemin de l’école ne sera pas plus colorée à sa sortie de l’Ecole normale des instituteurs de l’enseignement général (Enieg). Les cours du soir professés dans les domiciles et la générosité de quelques connaissances lui fourniront pendant près de 10 ans les seules subsides de toutes les fins de mois.
La porte de la fonction publique, havre sous le toit duquel s’abritent moult profils aux prises avec le chômage, lui seront finalement ouverte par le truchement d’une intense activité syndicale. C’est dans les oripeaux de président du Syndicat national des instituteurs et maitres de parents (Syncomp) que sa contractualisation le trouvera au terme d’un activisme qui l’a très souvent couté quelques jours de détentions derrière les barreaux des commissariats. Un aboutissement qui survient après avoir bu sa coupe de douleur jusqu’à la lie. Cet autre bout de craie qui tombe au bas du tableau de sa vie ne va pas l’éloigner de la lutte. Son addiction pour la défense des causes perdues lui causera d’ailleurs l’acrimonie de sa hiérarchie de l’école publique d’Ekorezok, encline à une reptation qu’il ne manquera pas de dénoncer ouvertement. Mais c’est davantage dans les rangs du syndicat dont la présidence lui échoit qu’a été attisé le feu de la discorde. Accusé par une frange de ses camarades de se gaver en hauts lieux de leurs malheurs, Charles René Koung déposera son tablier et vit à présent dans la modestie qui revient à un simple adhérent.
Sur la noirceur du tableau autant que sur le macadam des marches de protestations, Charles René Koung a toujours été escorté par les spectres des siens, secours inusables sur lesquels il a toujours su compter lorsque l’abdication était imminente. Il rend notamment hommage à Koung, le hibou en langue bafia et oncle paternel dont il est l’homonyme. Une prédiction de celui-ci, des heures avant de rendre son soupir alors que le Koung des campus et de la société civile n’est encore qu’un fœtus, astreindra ses parents de lui donner son nom au risque d’être un avorton à la naissance. Toute sa gratitude va également à l’endroit de Joseph Mekang à Ngon, ce père obsédé par « l’école des blancs » qu’il a voulu voir son fils assimiler mais que la mort fauchera alors que son garçon est aux portes de l’Enieg. Pr Hubert Mono Ndzana, qui a préfacé l’ouvrage avant son décès, clame depuis l’outre-tombe les mérites d’un ouvrage qui « se présente, contrairement à ces ingrédients d’assouvissement, comme l’expression pure de la grande littérature, parce qu’il raconte, sur le style de l’autobiographie, la vie d’un jeune enseignant depuis sa naissance, son enfance et les amourettes de cet âge, puis sa formation professionnelle, jusqu’à son accomplissement social comme leader syndical ».
in Kalara