Menu
in

Caricature : Liberté, je croque ton nom !

Le 3 mai 2023 prochain marquera la 30ème journée mondiale de la liberté de la presse. Si l’habitude au Cameroun est aux discours redondants de toutes les éditions sur les délits de presse, l’incarcération et l’assassinat de journalistes ou encore la précarité dans laquelle vivent la plupart de ceux-ci, évocation est rarement fait d’un art qui a pourtant su colorer avec humour – et défiance – les pages des journaux camerounais : la caricature. Esquisse d’une histoire où le dessin et les mots ont fait rire des générations de Camerounais.

1974. Période d’un Cameroun sous pilotage ahidjoïste et où l’expression est une faveur qui s’acquiert après moult allégeances à un régime soumis au culte de la pensée unique. C’est pourtant à la 18ème page de Cameroon Tribune, le quotidien gouvernemental crée des mois plutôt, que paraitra l’estampille de Tita’a, Martin Michel Nkoumou Amengle à l’état civil, le tout premier d’une longue lignée de dessinateur de presse. L’innovation, dans cette médiasphère camerounaise en manque de tabloïd et de plumes, tire sa copie du modèle français, le quotidien Le Monde en l’occurrence. L’avènement de cette forme d’expression dans les usages éditoriaux du journal à capitaux publics aura donc lieu comme une tendance qui se répand dans l’air du temps à travers les salles de rédactions occidentales, immédiatement reprise par les publications naissantes de l’Afrique postcoloniale.

Si la planche à dessin et le crayon du croqueur d’ailleurs servaient à illustrer le bêtisier du politiquement discutable, le dévouement à la grande gandoura blanche d’alors proscrivait tout écart au pastel. Ebaucher l’actualité nationale dans un croquis se passait sous l’encadrement du despotisme éclairé du « grand camarade », veau d’or d’une république vivant sous son ombre prescriptrice. « La presse quotidienne nationale privilégie l’information institutionnelle et véhicule une image idéaliste du gouvernement en place », écrit Dr Christelle Amina Djouldé, enseignante d’histoire à l’université de Ngaoundéré et auteur de Caricature et politique au Cameroun de 1974 à 2008 (Harmattan, 2010). Croquer l’autoritarisme en vigueur, illustrer l’atrocité du napalm dont les forêts en pays bassa et bamiléké – logis pour maquisards de l’Union des populations du Cameroun (Upc) en guerre contre la puissance tutélaire française – étaient arrosées ou encore esquisser la torture dans les mouroirs de Mantum et de Tcholliré étaient proscrits. La satire sur les angles sombres du tableau est un risque à éviter.

Le temps des croqueurs

Soumission à l’Etat, aseptisation du travail gouvernemental et obéissance au camarade-président. Les lignes jaunes qui ont tracées le triangle des Bermudes du dessin de presse au Cameroun jusqu’à ce que retentisse le gong du multipartisme, de retour à l’orée des années 1990 après trois décennies d’ensevelissement. Paul Biya, au pouvoir déjà depuis 1982, est présenté par la propagande acquise à sa cause comme cette colombe annonçant le printemps des libertés longtemps phagocytées par Ahmadou Ahidjo, son prédécesseur. Il en fera la démonstration le 19 décembre 1990 en promulguant les toutes premières lois en la matière. Le giron de l’information, exclusivement gouvernemental jusqu’alors, s’agrandit et offre des places aux médias privés. C’est l’âge d’or des croqueurs, stars du crayon en service à La Nouvelle Expression, Messager et Challenge Hebdo, les nouveaux rois de l’information.

 

Les lecteurs, esclaffant de rires chaque matin devant des kiosques un peu plus achalandés désormais, se familiarisent rapidement à certains noms de plumes. La confrérie des indétrônables Retin, Tita’a, Kiti, Louis Marie Lemana et autres  à Cameroon Tribune s’éclipsera progressivement au profit de peintures plus fraiches, moins ringardes et davantage engagés. Parmi les illustres, Nyemb Popoli du Messager, créateur de « Popol », Paul Biya dans le langage des croquis. Ses analyses au crayon et à la gomme sur l’actualité politique constituent un rendez-vous de toutes les fins de semaines en dernière page du journal sous le titre « Le cinéma Popoli ».  La Nouvelle Expression, à travers son « Vu à la télé », sert une revue hebdomadaire de la fiévreuse actualité politique de l’époque sous la plume d’Abou. Senou de Challenge Hebdo se passionne à crayonner sur le Cameroun d’en-haut tout en gommant leurs incuries au sommet de l’Etat. Grâce à eux, une évolution certaine du vocabulaire sociopolitique camerounais, enrichi au gré de la survenance de certaines mutations. Le « pistache » pour désigner l’acte sexuel, le « gâteau national » ou la « mangeoire » pour évoquer les  fruits de la croissance, « Pom Mbia » pour bamiléké en crise avec l’accent bulu…La caricature mord le pays à belle plume…

Des planches sans croquis

Le Cameroun, devenu une fresque où la grandeur des hiérarques de la nation est offerte aux railleries de la plèbe, deviendra une terre d’opportunité pour flingueurs au crayon. Longtemps resté sous la coupole du Messager, Nyemb Popoli s’en décarcassera en allant fonder Le Popoli, premier journal satirique à parution hebdomadaire. A sa suite, Mami Wata, Porc-Epic et quelques autres sont créés. Ceux-ci ne survivront pas plus de 5 ans, la crise économique soufflant déjà ses affres sur la presse.  Une précarité qui a d’ailleurs cogné si souvent à la porte du Popoli, résistant à plus d’un dépôt de bilan. Des difficultés qui n’empêchent pas la progression de cet art, fidèle à son appétit pour les traits et l’humour.

Leave a Reply

Quitter la version mobile