1974. Période d’un Cameroun sous pilotage ahidjoïste et où l’expression est une faveur qui s’acquiert après moult allégeances à un régime soumis au culte de la pensée unique. C’est pourtant à la 18ème page de Cameroon Tribune, le quotidien gouvernemental crée des mois plutôt, que paraitra l’estampille de Tita’a, Martin Michel Nkoumou Amengle à l’état civil, le tout premier d’une longue lignée de dessinateur de presse. L’innovation, dans cette médiasphère camerounaise en manque de tabloïd et de plumes, tire sa copie du modèle français, le quotidien Le Monde en l’occurrence. L’avènement de cette forme d’expression dans les usages éditoriaux du journal à capitaux publics aura donc lieu comme une tendance qui se répand dans l’air du temps à travers les salles de rédactions occidentales, immédiatement reprise par les publications naissantes de l’Afrique postcoloniale.
Si la planche à dessin et le crayon du croqueur d’ailleurs servaient à illustrer le bêtisier du politiquement discutable, le dévouement à la grande gandoura blanche d’alors proscrivait tout écart au pastel. Ebaucher l’actualité nationale dans un croquis se passait sous l’encadrement du despotisme éclairé du « grand camarade », veau d’or d’une république vivant sous son ombre prescriptrice. « La presse quotidienne nationale privilégie l’information institutionnelle et véhicule une image idéaliste du gouvernement en place », écrit Dr Christelle Amina Djouldé, enseignante d’histoire à l’université de Ngaoundéré et auteur de Caricature et politique au Cameroun de 1974 à 2008 (Harmattan, 2010). Croquer l’autoritarisme en vigueur, illustrer l’atrocité du napalm dont les forêts en pays bassa et bamiléké – logis pour maquisards de l’Union des populations du Cameroun (Upc) en guerre contre la puissance tutélaire française – étaient arrosées ou encore esquisser la torture dans les mouroirs de Mantum et de Tcholliré étaient proscrits. La satire sur les angles sombres du tableau est un risque à éviter.
Le temps des croqueurs
Soumission à l’Etat, aseptisation du travail gouvernemental et obéissance au camarade-président. Les lignes jaunes qui ont tracées le triangle des Bermudes du dessin de presse au Cameroun jusqu’à ce que retentisse le gong du multipartisme, de retour à l’orée des années 1990 après trois décennies d’ensevelissement. Paul Biya, au pouvoir déjà depuis 1982, est présenté par la propagande acquise à sa cause comme cette colombe annonçant le printemps des libertés longtemps phagocytées par Ahmadou Ahidjo, son prédécesseur. Il en fera la démonstration le 19 décembre 1990 en promulguant les toutes premières lois en la matière. Le giron de l’information, exclusivement gouvernemental jusqu’alors, s’agrandit et offre des places aux médias privés. C’est l’âge d’or des croqueurs, stars du crayon en service à La Nouvelle Expression, Messager et Challenge Hebdo, les nouveaux rois de l’information.