1976.Année furieuse et meurtrière dans le Chilie que dirige Augusto Pinochet, populiste sans vergogne et misogyne assumé. Dans ce pays d’Amérique latine où la démocratie et les libertés fondamentales sont allées mourir dans la dictature d’une junte militaire en pleine splendeur, Carmen est un spécimen qui s’accommode peu de cet enfermement édicté sur les hauteurs du pouvoir. Tabagique et effrontée, cette bourgeoise aux dehors très conventionnels partage son pécule aux pauvres et est proche des aveugles à qui elle fait la lecture. Une sociabilité qui dissimule pourtant une chevrotine à l’usage de laquelle elle crachera un feu révolutionnaire sur l’autocratie en vigueur.
La funambule Carmen, héroïne de Chilie 1976, long métrage – le premier de sa carrière – de Manuela Martelli, est incarnée par Aline Kuppenheim. Une actrice à travers qui ont été relatées le funeste Chili des années Pinochet ainsi que la chaine de solidarité qui s’est constituée sous les crépitements des armes à feu et la torture dans les lieux de détention. 135 minutes où sont exposés les clichés de ces conventions, surfaites et discriminatoires, et sur lesquelles sont assénés des coups, ceux d’un peuple qui suffoque sous la privation et la violence. L’on y voit une Carmen, épouse de médecin et mère de deux ravissantes jeunes femmes, sortir de sa zone de confort pour assister Elias, un jeunot criblé de balles et traqué par des militaires. C’est aussi un hommage rendu à toutes ces femmes, du Chilie ou d’ailleurs, contributrices si souvent méconnues à l’effort de libération et d’émancipation politique dans leurs pays respectifs. Un long métrage qui s’achève justement avec une Carmen au visage ensanglantée, la peau perforée par des projectiles mais le cœur empli de détermination, engagée dans une course irréversible vers la liberté.
Avec ce film issu de Cinéma en construction de Toulouse, Manuela Martelli, dont c’est le premier long métrage, réussit un joli tour de force. Avec une réalisation soignée et dans une esthétique très « années 70 », elle brosse un beau portrait de femme. On connaissait la jeune réalisatrice en tant que comédienne. Elle avait déjà partagé l’affiche avec la même Aline Kuppenheim dans le film Mon ami Machuca d’Andrès Wood. Manuela Martelli était alors une toute jeune adolescente. Dans ce film de 2004, qui raconte l’histoire d’une amitié entre enfants issus de classes sociales très différentes, le réalisateur tressait histoire intime et histoire politique de son pays. Un film qui a marqué l’irruption sur les écrans européens du « nouveau » cinéma chilien. Un cinéma qui est aussi une affaire de tribu puisque Andrès Wood est coproducteur de Chili 1976. Sélectionné à la Quinzaine à Cannes, et à Horizontes latinos à San Sebastian, Chili 1976 était également dans la sélection du festival Travelling. Il témoigne une nouvelle fois de la vitalité du cinéma chilien.