Ce vendredi 31 mars, sur le grand écran de la Cinémathèque de Toulouse, on a pu découvrir La Barbarie de l’Argentin Andrew Sala, qui sera projeté à Paris lundi 3 avril, en prélude à la première édition du festival Clap. Dans l’estancia familiale, un jeune garçon découvre que la barbarie et la violence concernent toutes les classes sociales, sans exception. Salle comble et questions en rafale d’un public conquis pour le réalisateur et son producteur Sebastián Muro. Le film, qui sortira en mai en salles en Argentine, est passé par Cinéma en Construction où il a remporté le premier prix en 2021. L’Eden, Los Reyes del mundo et Anhell 69 de Théo Montoya, trois jeunes réalisateurs colombiens, Las hijas de la Panaméenne Kattia G. Zuñiga… tous ces films, issus de Cinéma en Construction ou Cinéma en Développement, sont projetés cette année à Cinélatino. On aperçoit aussi dans le tourbillon du festival la réalisatrice mexicaine Angeles Cruz. Elle est venue présenter son nouveau projet de film à Cinéma en Construction ; son précédent, et remarqué, long métrage, Nudo Mixteco, avait déjà bénéficié de ce précieux coup de pouce auquel elle avait rendu hommage lorsque nous l’avions rencontrée l’an dernier.
Une longue histoire
L’Argentine Ana Katz a pu finaliser son premier film, le tendre El juego de la silla grâce aussi à Cinéma en Construction. Elle a participé à la première édition en 2002, et on pourrait multiplier les exemples, car ce sont quelque 231 films qui ont été soutenus depuis vingt et un ans par ce dispositif dont Esther Saint-Dizier, l’une des initiatrices des Rencontres, nous avait raconté l’histoire. Une initiative pionnière, montée ensuite avec le festival de San Sebastian, grâce à José Maria Riba. « Jamais précédemment deux festivals de deux pays différents et de catégories différentes n’avaient coopéré de la sorte », nous rappelle Eva Morsch Kihn. cheville ouvrière du festival, qui s’occupe – outre la coordination des comités de sélection en charge de la fiction et du focus – de la plateforme professionnelle.
Cette plateforme professionnelle comprend donc Cinéma en Construction qui donne un coup de pouce matériel aux films pour leur bouclage ou leur distribution, grâce à des partenariats européens et latino-américains, et Cinéma en Développement qui met en réseau les professionnels du cinéma d’Amérique latine et d’Europe et les porteurs de projets et partenaires privés ou publics.
Après sa création, la plateforme professionnelle s’est rapidement structurée pour permettre un meilleur accompagnement des films et une sélection des projets a été mise en place. On souhaiterait un format type forum pour tous les accompagner, mais objectivement mais c’est un volume de projets et de personnes trop lourd à porter pour une toute petite équipe, nous explique Eva Morsch Kihn.
Cinéma en Développement est réservé aux appels à projet internes au festival, avec quelques partenariats comme la Cinéfondation de Cannes ou le BrLab brésilien : le projet peut être « une petite idée sur un papier ou déjà un film en post-production », ce qui fut le cas par exemple de La Barbarie : « le but, ce n’est pas que des producteurs se positionnent, mais de donner l’occasion d’échanges, de retours, dans un cadre donné ». Pour les tout jeunes réalisateurs, qui viennent par exemple pour un court métrage ou un premier film, « c’est une façon assez douce »de les aider à nourrir leur réseau et à comprendre comment se construit un film jusqu’à sa distribution. « On n’est pas un marché de co-production, ni un lab », insiste Eva Morsch Kihn.
Cinéma en Construction et Cinéma en Développement offrent en outre des prix, grâce à des partenaires. Après deux jours de rencontres et discussions, les professionnels ont arrêté leurs choix ce vendredi. Le prix Cinéma en construction a été décerné à Sariri, film chilien de Laura Donoso. Il consistera en des aides à la post-production et à la distribution. Et parmi les films retenus par Cinéma en développement, le film cubano-brésilien Otra vez Malena, de Lisandra Lopez Fabé et Ayllu, de Ximena Málaga Sabogal (Pérou).
Le rôle croissant de la région
À côté de ces dispositifs, il en existe d’autres, en lien avec la région, c’est la Plateforme Occitanie. Une agence régionale de cinéma (Apifa) a été créée lors de la fusion de Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon en 2016, dans le cadre de la réorganisation territoriale décidée sous la présidence de François Hollande, et « elle apporte beaucoup de dynamisme à la filière ». Une association de producteurs d’Occitanie, à laquelle le festival est associé, a aussi émergé dans la foulée. Cette dynamique a élargi le champ d’action et permet par exemple à un producteur régional qui a un projet sur l’Amérique latine de trouver des contacts et réciproquement. « Pour un professionnel latino-américain, que son producteur soit à Paris ou à Toulouse, il reste français ». Les échanges se concrétisent par des coproductions, des résidences d’écriture, la circulation des films et des réalisateurs dans les cinémas de la région, etc. Et les projets ne manquent pas. S’inspirant des ateliers co-produire avec l’Espagne en 2021, puis en 2022 avec le Brésil, cette année la plateforme s’est intéressée aux coproductions avec la Colombie cette semaine. Ces ateliers consistent là encore en des échanges d’informations et des mises en réseau de professionnels français et colombiens.
La Colombie a d’ailleurs été choisie pour le Focus des rencontres cette année. La forte présence de films colombiens dans les grands festivals internationaux de rang A comme Cannes, Berlin ou Toronto, témoigne de la vitalité de son cinéma. L’agence publique Proimagenes, dirigée par Claudia Triana depuis sa création en 1998, fait un travail remarquable et sur la durée, qui porte ses fruits, selon Eva Morsch Kihn. Colombie, Argentine, Pérou, Chili… ces pays sont très présents aux rencontres Cinélatino. Il faudrait peut-être pouvoir prospecter davantage du côté de l’Amérique centrale, moins représentée, et du documentaire. « Des besoins, il y en a, et des envies, ce n’est pas ça qui manque, mais nous sommes très contraints par nos petits moyens », regrette Eva Morsch Kihn. Il n’y a pas de budget spécifique pour la plateforme professionnelle qui émarge au budget général des Rencontres, alimenté par la ville et la région. Pour pallier ce manque de moyens, Cinélatino collabore avec d’autres festivals par exemple pour échanger des films et mutualiser les invités. « On travaille avec ce que j’appelle ‘l’internationale des festivals de printemps’ » : Milan, Barcelone, Ojo Loco de Grenoble, Villeurbanne, Pessac, Valence… Le festival du film de femmes de Créteil, Le festival du cinéma péruvien et les rencontres documentaires de Cinéma du Réel ont accueilli ou accueilleront des films et des réalisateurs passés par Toulouse. Créer des cercles vertueux pour toujours mieux soutenir et faire connaître ce cinéma d’outre-Atlantique…