49 ans. Le temps qu’il a fallu pour que ressorte des oubliettes un film désormais considéré comme un joyau du cinéma mondial. Témoins de cette restauration inédite, les festivaliers de Regards Satellites, évènement tenu le 6 février à Saint-Denis en région parisienne et au cours duquel a été projeté « De quelques évènements sans signification ». Un long métrage qui a rencontré son public juste une fois, lors du Festival de Paris en 1974. « C’est le premier film arabe passé dans ce festival », indique Mostafa Derkaoui, le réalisateur, au micro de Radio France International (RFI). Un exploit qui sera pourtant suivi de quatre décennies d’interdiction justifié le délicat contexte politique de son temps.
La censure qui s’est abattue sur ce film, le tout premier de Mostafa Derkaoui qui en a déjà 10 à son actif, trouve sa raison dans le politiquement incorrect en usage au Maroc. Son synopsis interroge en effet le rôle des artistes, les cinéastes évidemment en premier, face à l’oppression politique. Dans De quelques événements sans signification, il s’agit de l’histoire d’une équipe de cinéma qui tourne un film et tombe par hasard sur un crime. Équipe qui décide de suivre le criminel, un employé qui tue son patron. « Le garçon qu’on voit au début, descendre d’un bus, voler un vélomoteur et se rendre là où des cinéastes sont en train d’interviewer des gens au sujet du cinéma, c’est à cause d’eux qu’il va être appréhendé par la police et il les traite finalement de collaborateurs : vous êtes le système même contre lequel vous voulez lutter », décrypte Mostafa Derkaoui.
Le pouvoir de Rabat, incarné alors par le roi Hassan II, ne trouve pas l’intrigue du film à son gout et ordonne son interdiction, le jugeant « inopportun ». Instruction que ne suivront pas tous les cinéphiles, conquis par la narration de ce film jugée « radical » par quelques critiques acquis aux Alaouites. «J’ai eu l’honneur de le voir passer entre deux monuments du cinéma : La Soif du mal, monté par Orson Wells et Vol au-dessus de nid de coucou, de Milos Forman. Et, évidemment, c’est là où je me suis dit : « Dans quelle galère je me suis mis ? » »
Il faudra attendre 2019 pour voir ce film remonter la pente. Le festival de Berlin inscrit le film dans son programme de projection. Une réhabilitation qui s’est faite en toutes acclamations et après une infatigable négociation menée avec l’establishment marocain.