« La musique sera partout et le concert nulle part ». Des mots qui gravent un leitmotiv au frontispice des années Jack Lang au ministère de la culture. Arrivé à la Rue de Valois à Paris en même temps que François Mitterrand faisait son entrée à l’Elysée en 1981, le socialiste vosgien tient à marquer son temps et s’entoure d’une garde rapprochée que constituent l’architecte-scénographe Christian Dupavillon et le professeur de danse Maurice Fleuret. Le trio rêve de « renverser la table », comme l’indique Lang à travers qui la musique est sortie du conformisme des conservatoires pour revêtir les parures d’une fête foraine. « La fête est ce lieu d’échanges, de passions, de mise en lien des artistes et des gens, c’est constitutif de mon tempérament », explique-t-il dans une interview accordée en 2022 à l’Agence France Press (AFP).
L’idée, qui sort progressivement des fonts baptismaux, est que la musique sorte des conservatoires et salles de concerts pour être jouée par tous le 21 juin 1982. Un jour de solstice d’été pour lequel Lang et son équipe réunissent tous les moyens des mois avant tout en travaillant d’arrache-pied pour conquérir un auditoire : matraquage médiatique sur les antennes de radiodiffusion et de télévision, porte-à-porte dans les quartiers de Paris où s’opère une intense communication de proximité, interventions dans le JT d’Antenne 2…Les décibels de la fête de la musique crèvent l’écran et traversent les tympans comme un avis de tempête. « Fête (Faites) de la musique 21 juin 20H30-21H », lit-on sur la toute première affiche imprimée en blanc sur papier bleu. Les appréhensions, au Palais royal 3, ne disparaissent pas pour autant. «On avait dit aux gens ‘allez-y, sortez, appropriez-vous la musique dans les rues’, mais on craignait qu’ils restent planqués chez eux », se souvient l’ex-ministre de la culture, passé aussi par l’éducation nationale avant l’Institut du monde arabe dont il est le directeur depuis 10 ans.
Piano
Le succès n’est pas tout-à-fait au rendez-vous malgré les visages importants que l’on y a vu. Danielle Mitterrand, la première dame, est assise tout près de l’estrade construite devant l’entrée principale du ministère, le réalisateur de renom François Reichenbach tient la camera où sont enregistrées les prestations du jeunot Michel Sardou, de la vieille Edith Piaf, de la prometteuse Michelle Torr, pour ne citer que ceux-là. Des gens sont sortis de leurs domiciles comme attendu sans pourtant propager l’entrain escompté. « La première année, en 1982, ce ne fut pas un grand succès, mais les gens ont joué le jeu et dès 1983 c’était vraiment parti », décrypte Jack Lang, lui-même au piano de cette première édition de la fête de la musique. C’est donc en sol majeur que la musique sera célébrée l’année d’après par le truchement d’aménagements importants à la manœuvre desquels est tenu encore Jack Lang, le chef d’orchestre du « concert le plus grand du monde » qu’il quitte en 1990, muté à l’éducation nationale. C’est notamment dans un camion en circulation dans le pourtour du Trocadéro que le pianiste Jacques Higuelin prestera en présence de mélomanes massés dans les rues. La réussite de ce concerto ambulant à la gloire des symphonies éternelles fera pourtant sortir de mauvais lapins de leurs terriers. A Jack Lang, reproche est fait d’avoir éloigné les Français des cruciaux débats de leur temps. L’inflation est aux portes des marchés, le spectre de la rigueur guette les ménages et le Front national se taille d’importantes parts de notoriété dans les bastions socialistes. Marianne a pâle figure et n’a pas la tête à la fête, lui admoneste-t-on, y compris dans son propre camp. «Il y aura pendant un certain temps des pisse-vinaigre, pour des raisons sincères et pour des raisons politiques, mais le mouvement populaire a finalement balayé tout ça », rétorque Jack Lang, 82 ans aujourd’hui.
Au fil des ans, le rendez-vous s’exporte, désormais dans plus d’une centaine de pays. « On m’a demandé récemment de faire une vidéo pour les Australiens, je n’en reviens pas », souffle Lang. Il énumère des voyages qu’il a fait à cette occasion – « Berlin, Rome, le Pérou » – et se rappelle, amusé, de ce vol retour de Russie « avec Alain Delon, au début de Gorbatchev » (1990) où une grande partie de la délégation, lui compris, était « ivre ».