« Les conversations relatées ici ont vraiment eu lieu […], elles furent [narrées] dans un sabir savoureux qu’on nomme darija, qui mêle plusieurs langages et idiomes, et qui ignore l’imparfait du subjonctif. ». L’avant-propos de 30 jours pour trouver un mari, 179 pages de camaraderie dans l’ambiance chaloupée et pittoresque du Café de l’Univers à Casablanca. Une fresque du Maroc contemporain, avec Fouad Laroui au pinceau.
Ce roman, le dernier d’une œuvre entamée en 1996, hérite lui aussi du sarcasme et de la cocasserie de son auteur. Pince-sans-rire, il commente la société de son temps avec une perspicacité qu’il romance avec subtilité, utilisant le juste mot dans la bonne phrase, pour un résultat qui grave toujours un sourire au visage du lecteur. Romancier, essayiste, chroniqueur, Fouad Laroui explore toutes les pistes à travers lesquels peuvent s’exprimer ses opinions. Une disponibilité intellectuelle qui n’est pas sans récompense : Prix Goncourt de la nouvelle en 2013 pour L’étrange affaire du pantalon de Dassoukine, il effleure ce laurier en 1999 avec Les dents du topographe. A l’aise dans les formats courts et longs, la plume de cet ingénieur de formation est un plaisir qui s’étale le long de Post-Scriptum, chronique de dernière page dont il est l’un des rédacteurs chez l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique.
Son style ? Le dialecte populaire marocain associé au langage « MVHY » (Molière, Voltaire, Hugo, Yourcenar), comme il aime à le désigner. A la gouaille en usage dans les banlieues de Rabat, Fouad Laroui ajoute une écriture héritée du conformisme grégorien. La plèbe côtoie l’élite, le prolétaire discute sans complexe avec le bourgeois. Une hétérogénéité de laquelle sortent des formules savamment construites, où humour et réflexion cohabitent. « Vous savez, messieurs, que les physiciens peuvent calculer la pression d’un gaz, surtout s’il est parfait ; il y a des formules pour ça ; mais personne n’a pu, jusqu’à présent, mettre en équation la pression sociale. »
Effeuillage
Conteur talentueux, Fouad Laroui en est un spécialiste à l’expertise éprouvée, avec onze ouvrages dédiés à son actif, tous appréciés par la critique. A travers ses personnages, démonstration est faite de l’art de l’effeuillage littéraire dont l’art ne lui est point inconnu et qui écume l’essentiel de ses productions. Exemple pris avec ce personnage qui, las d’attendre la fin d’une intrigue qui lui est relatée, demande : « On a vraiment besoin de tous ces détails ? », l’autre répond : « Oui, rustre qui ne connais rien à l’art de la narration. Ça pose le décor, ça peint une sorte d’arrière-plan, pour mieux faire ressortir l’étrangeté de ce qui va advenir. ». Le suspens dans toute sa longueur, une astucieuse façon de garder son public en éveil, suivant le conteur dans tous les dédales où s’aventure son récit.
La plume de Fouad Laroui est une arme qui laisse couler un engagement en lutte contre le sectarisme des temps actuels. A ceux qui en sont les paroissiens zélés, des coups qu’il assène sans concession. « Ces marionnettes, les ai-je créées et leur ai-je forgé un destin inexorable ? Après tout, c’est moi qui les mets en scène… Créées… donc je suis, moi, inengendré, impérissable, par rapport à elles… Ou bien me suis-je contenté de leur donner une forme à partir d’une substance éternelle, et m’en suis-je lavé les mains ? Qui sait ce qu’elles font quand je dors… quand elles dorment… le sommeil fait naître des monstres. Le mal, est-ce ainsi qu’il naît ? » Des interrogations que formule Theos le marionnettiste, jeune homme schizophrène et personnage principal de la nouvelle éponyme.