À l’écart des mouvements littéraires et des festivités de salon, il existe encore aujourd’hui une poésie qui dégage une odeur de soufre, qui chauffe la pensée et les nerfs, qui vous entraîne, haletant et hagard, sur des chemins inconnus où l’on marche avec « des sacs remplis de colère » et dont parfois, mentalement ou physiquement, on ne revient pas, comme Nerval, Crevel, Duprey, Bosc, Rodanski, Artaud, Prevel. Ces individus qualifiés de « suicides de la société » n’écrivent pas pour leur propre plaisir, mais plutôt pour créer des fissures dans leur être et leur vie, avec le moyen du désespoir et de la révolte. Ils sont souvent considérés comme des pestiférés. Ils ne sont pas entendus. Ils ne sont pas écoutés. Ce n’est pas pour l’audience et les honneurs qu’ils parlent, mais pour quelques-uns, poètes et lecteurs, qui constituent ainsi une « société secrète de l’écriture », comme l’écrivait autrefois le regretté Alain Jouffroy.
S’il fait référence et rend hommage à Jacques Prevel, poète très méconnu, Grégory Rateau le fait dans l’esprit d’un compagnonnage posthume. Reconnaissant des affinités, l’impression d’être également un « paria de naissance », il mêle son destin avec son propre destin au fil des textes. Ce constat, inévitable, est le suivant : la vie n’est pas la vie, du moins elle n’est pas ce qu’elle devrait être. Et il existe cette incapacité à la modifier, Rimbaud l’avait parfaitement saisi. Qu’en est-il des désoeuvrés de la vie? L’alcool, les paradis artificiels, qui permettent de s’échapper pendant quelques heures. Ensuite, il y a la poésie qui, sans changer le monde, a le pouvoir de changer le point de vue.
C’est sur cette voie que Grégory Rateau marche. Sa compassion pour les damnés baptisés par la poisse, sa colère contre tous ces rois vaniteux de la culture, assis sans le savoir sur des trônes de paille, sa fureur, sa révolte et sa soif infinie peuvent s’y manifester. Désespéré? Absolument! Cependant, un individu qui exprime son désespoir dans une société à bout de souffle est un individu qui connaît la mort.