« Le professeur Mono Ndzana nous a quitté à 3h15 ce jeudi ». La redoutable nouvelle nous est confirmée par Raul, l’un de ses 6 enfants joint au téléphone. Le timbre vocal à l’autre bout du fil est différent de cette voix veloutée et un brin caverneuse qui répondait à toutes les sollicitations des journalistes, étudiants et autres admirateurs de la philosophie sociale dont il fut le porte-étendard dans les campus du Cameroun et d’ailleurs. Une doucereuse voix au décibel réglé comme sur du papier à musique que nous entendrons la dernière fois le 4 novembre 2023, soit deux jours après avoir été violemment heurté par un automobiliste. « Je m’affaibli de jour en jour. J’ai besoin d’aide », se plaignait-il, espérant que la presse dont il fut proche fasse du bruit autour du drame qui gravitait autour de lui depuis son internement à l’hôpital général de Yaoundé.
Cet accident survient après une ultime intervention sur l’antenne de Soleil Fm à Yaoundé. Hubert Mono Ndzana est l’invité de l’édition du 5 octobre 2023 du Temps sociopolitique. Donald Zang Manga, le présentateur, en fait une tête de gondole à qui des questions sont posées notamment sur ces enseignants de pratiquement tous les ordres d’enseignement, en grève depuis des mois pour réclamer le paiement de leurs salaires et de meilleures conditions de travail. « Il y a des directeurs de thèses qui imposent l’homosexualité à leurs étudiants à l’université », avait-il éructé dans les oreilles d’un auditoire en phase avec cet ancien chef de département de philosophie à l’université de Yaoundé I. Le chauffard qui l’enverra des jours après aux urgences serait-il la réponse d’une main noire qui punit l’outrecuidance des libres penseurs de cette époque ? Si le soupçon commence à circuler dans les salles de rédaction où Hubert Mono Ndjana avait ses habitudes, son décès constaté aux aurores a été l’onde de choc du 16 novembre 2023. « Il fait nuit ce matin », s’est exprimé Cyril Marcel Essissima, le chef du service politique du quotidien Mutations, journal dans les colonnes duquel paraissaient jadis certaines des chroniques du philosophe défunt.
Hubert Mono Ndzana : « Il faut une loi imposant un quota d’allogènes dans les villes »
Sobriété
Il est mort comme il a toujours vécu : dans une discrétion qui l’a escorté sur tous les chemins d’une vie menée sans bruit. Une sobriété dont les illustres moments commencent le 3 novembre 1946 à Ekabita, faubourg sans histoire du département de la Lékié. C’est sous le feuillage méridional de cette contrée où le soleil se lève et se couche sur la hardiesse en circulation dans les champs que naitra son idylle pour « les sujets compliqués » comme les considère Martin Ndzomo, le cousin du défunt. Le pays éton auquel appartient Hubert Mono Ndzana a déjà dans ses rangs quelques natifs dont les noms figurent en bonne place dans l’annuaire des penseurs du Cameroun postcolonial. Mais c’est de cette tête dépouillée de chevelure au gré des 77 années qui se sont écoulées que sortira la plus grande des mutations dans la philosophie, discipline restée avant lui sans chaire professorale dans les universités d’Afrique centrale. Le tout premier agrégé en philosophie de la sous-région, coqueluche des campus et académicien bon-chic-bon-genre aux costumes taillés sur mesure, a atteint le pinacle de son art depuis son retour de l’université de Tours en France avec un doctorat d’Etat dans l’escarcelle. Une bonne cinquantaine d’ouvrages, autant d’articles scientifiques et collaborations, cet intellectuel aux mensurations menues a longtemps vécu dans le top ranking des références africaines en matière de sciences sociales. L’histoire et la sociologie, autres cordes fixées à un arc réputé pour sa solidité, sont autant de pages où a été écrite l’odyssée Mono Ndzana. Une aventure fantastique dans les amphithéâtres qui entamera pourtant sa descente vers les abysses lorsqu’elle croisera la politique sur son chemin.
Idéologue parmi les plus prolixes de son temps, Hubert Mono Ndzana fera couler de sa plume l’une des premières louanges du Renouveau aux aurores d’un Biyaisme dont il fut l’un des archiprêtres. Les deux cent quatre-vingt pages de L’idéal social chez Paul Biya en feront l’un des scribes au service d’un nouveau prince en quête de légitimité politique. La critique littéraire de l’époque ne le loupera pas, l’accusant d’avoir soumis la classe intellectuel au service d’un pouvoir politique dont l’acrimonie pour la contradiction en a envoyé plus d’un au contact de la matraque en usage dans les pénitentiers de Tcholliré et de Mantum. Se fiant à la fraicheur que dégageait le projet politique du nouveau président de la République, Hubert Mono Ndzana s’y engouffre pieds et mains liés. Un militantisme qu’il actera le 24 mars 1985 à Bamenda à la naissance du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), parti politique pour lequel il est maintes fois allé à la castagne. « Rien à voir avec ces prétendus militants qui portent les écharpes aujourd’hui mais qui terraient chez eux comme des gamins il y a plus de trente ans aujourd’hui », aimait-il à glousser, la pensée errant certainement dans les souvenirs de ce multipartisme dont il fut le fantassin dans les rues de Yaoundé et Douala. « J’ai lutté pour la survie de ce régime alors que tous les signaux étaient au rouge », éructait-il en direction de certains de certains de ses camarades restés cloitrés dans leurs domiciles au moment où le mot d’ordre des « villes mortes » imposaient sa politique des portes closes. Des efforts qui vont crever l’écran et traverser les murs cossus du Palais de l’Unité. Paul Biya, le punching ball sur qui sont assenés les coups les plus violents d’une opposition politique résolue à mettre un terme à son magistère au sommet de l’Etat, fait de Mono Ndzana son secrétaire à la communication. « Je suis le premier à ce poste », aimait-il à rappeler.
Foi et fidélité
L’orage qui a circulé pendant la première moitié des années 90 s’estompera. La démocratie apaisée est la nouvelle base référentielle des discussions entre le pouvoir et ses opposants. Si le régime a réussi à reprendre la main, c’est dans son antre où s’opèreront les premières liquidations. Parmi les tuables de l’establishment, Hubert Mono Ndzana à qui reproche est fait de ne pas être à la hauteur du «prestige» dont est auréolée sa casquette d’éminent cadre du parti. « J’ai été abordé par certaines personnes qui m’ont fait la proposition d’entrer dans des choses compliquées, qu’il ne me fallait plus être simple », révèle-t-il à Donald Zang Manga dans l’émission précédemment citée. Des choses en désaccord avec l’éducation culturelle et catholique dans laquelle il a baigné toute sa vie. La désapprobation de ce bon vivant, qui a toujours plaidé coupable pour son appétence pour la bière blonde et les grillades des gargotes, lui coutera son écartement du bureau dirigeant du parti. C’est subrepticement qu’il quittera la communication du Rdpc dont les manettes reviendront au plus enthousiaste Jacques Fame Ndongo. De retour auprès de ses étudiants, il renouera avec cette craie dont il ne se séparera plus. C’est également sur les plateaux de radiodiffusion et dans les colonnes de journaux que se poursuivait son engagement en faveur d’un Cameroun des talents et de la méritocratie. Son « mapartisme », néologisme indiquant l’égoïsme en circulation dans la gestion des ressources de la nation, deviendra l’emblème d’un aggiornamento qu’il a longtemps souhaité dans ce Rdpc auquel il demeurera pourtant fidèle jusqu’à la mort. « C’est certainement dû à mon éducation chrétienne. La foi et la fidélité », pour justifier ce qui, pour beaucoup, est une soumission à un ogre aveugle qui broie et mange les siens. Le biyaisme, culte dont il fut le proclamateur malgré les revers et la disgrâce qui en ont récompensé la dévotion, s’inclinera-t-il devant celui qui en a revêtit les couleurs jusqu’à la mort ? Pas le moindre sourcillement du comité central du Rdpc depuis l’annonce de son décès. Mince espoir…