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Je suis « Mbamois », je vénère la tortue.

La Tortue occupe une place de choix dans les us et coutumes des peuples du grand Mbam. Elle est symbole de justice, de paix et de bonheur. Pour ces bonnes raisons, les « Mbamois » lui vouent une vénération sans précédent. Moi aussi.

Espèces menacées de disparition, en raison de la destruction de leurs habitats (terrestre, aquatique et marin), ou d’une prédation trop importante, les Tortues figurent parmi les espèces protégées au Cameroun. Le pays abrite d’ailleurs un éco-village qui protège ses Tortues Marines. Ebodjé, puisqu’il s’agit de lui, est un petit village au bord de l’océan Atlantique, dans la région du sud.

Les populations du village ont créé une association, « Tube Awu » littéralement en langue Yassa, notre océan. Son président, Denis Gnamaloba scande d’ailleurs fièrement : « La tortue est notre emblème. De génération en génération, elle a toujours fait partie de nos vies. La protéger est aujourd’hui notre plus grand devoir ». Ce rapport des populations avec la nature peut  permettre d’implémenter avec succès les autres mesures de conservations efficaces par zone, apparues pour la première fois à Nagoya lors de la conférence sur la biodiversité biologique en 2010 et qui peine à se matérialiser.

Pourquoi les « Mbamois » vénèrent la Tortue ?

Dans ses travaux de recherche, le Professeur Joseph Dong  Aroga, s’est penché longuement sur le rapport que les « Mbamois » ont avec la Tortue. Il démontre du reste que, ce petit animal qui illustre les contes à travers son intelligence, est vénéré non seulement par les « Mbamois », mais aussi par les « Bamiléké » et les « Béti ».

Chez les Bafia, la tortue est le symbole de la justice, de la paix et du bonheur. Le grand respect qu’ils attachent à celle-ci a poussé les camerounais à dire que la tortue est un animal fétiche que les Bafia ne touchent et ne voient même pas. La vénération qu’ils vouent à la Tortue, serait un héritage de leurs ancêtres les Nyokon. Epris de respect pour le bien d’autrui, combattant l’injustice dans leur environnement social, ils s’accordèrent à trouver un animal totem capable de trancher les litiges qui ne trouvaient pas de compromis. Ils choisirent alors la tortue sur laquelle ils devaient prêter serment.

Chez les Yambassa, le mythe de la tortue selon le récit du Révérend pasteur Mouko Clément remonte à l’histoire de deux frères, cultivateurs qui décidèrent de créer chacun un champ de taro. Pour alléger leur besogne, ils choisissent de travailler ensemble dans chacun des champs selon une rotation journalière. Un jour, pendant qu’ils débroussaillaient, ils découvrirent pour leur première fois un petit animal qui se déplaçait avec sa maison. Les frères cultivateurs contemplèrent l’animal sans le toucher. Ils  remarquèrent alors que ce dernier était démuni de membres et inoffensif. Lorsqu’on le touchait, tout doucement il rentrait dans sa carapace. Fascinés, ils désignent le petit animal « Dieu », c’est-à-dire l’ancien. Le  petit animal ne s’éloignait pas d’eux pendant leur labeur. Elle devint le troisième personnage des lieux. Après une saison agricole pleine, les deux champs avaient produit. Le résultat de la récolte ne fut pas équitable. Celui dont le champ n’avait pas beaucoup produit décida de dérober la récolte de son frère, et un climat de suspicion naîtra entre les deux. Pour éviter toute discussion et querelle, les frères décidèrent d’un commun accord de consulter le maître des lieux, « le Dieu » qui ne parle pas, la Tortue.

Après serment, ils décidèrent de laver la petite bête et de boire de cette eau, ensuite de la tuer. Ils la saisirent donc par les membres antérieurs et tous deux, chacun armé de son coupe-coupe, fendirent la tortue en prononçant ces paroles :

  • L’accusé : « Dieu des lieux si c’est moi qui suis fautif du vol de taros de mon frère, que je devienne comme toi ».
  • La victime : « Si jamais ma récolte n’a pas été volée et que j’ai soupçonné mon frère d’être l’auteur, fait de moi un handicapé lépreux ».

Quelques jours après le serment, la peau du voleur de taros commença à entrevoir des taches de lèpre. Tout le village fut témoin des réalités de la justice de Dieu sur les fautes cachées. Ainsi commença le rite et la vénération de la tortue.

Chez les Nyokon, la lèpre était considérée comme un signe de malédiction. Le lépreux était considéré comme impur et écarté de la société, car ayant enfreint les règles de la nature en commettant des actes qui n’honoraient pas Dieu. Ils avaient choisi la tortue car, celle-ci présentait les aspects d’un lépreux. Son corps écaillé représente les taches de la lèpre sur le corps de l’homme atteint et ses membres courts comme ceux d’un lépreux. La tortue et la lèpre sont désignées en langue Nyokon par le même nom «  Kul ou Kwiy », en Banen par «  Minu ».

Le rite de la tortue était  également utilisé dans les négociations  entre deux clans qui étaient en guerre. Le Professeur Daniel Abwa, historien « Mbamois » explique que,  « les chefs de deux adversaires se rencontraient entourés de leurs guerriers en une réunion désignée du terme (NEYO). Les vaincus avaient à payer la rançon qu’on leur demandait en jeunes filles également. Puis sur une tortue on prononçait un serment. Alors deux hommes libres, un de chacun des camps, tenant la tortue, la faisaient fendre en deux d’un coup de coupe-coupe. L’homme du camp des vainqueurs prononçait ces paroles : « Tortue, je ne les trompe pas. Si je les trompe, tue-moi ; s’ils me trompent tue-les. Alors les deux hommes échangeaient la moitié de la tortue qu’ils tenaient à la main. Chacun faisait un paquet de la moitié qu’il avait reçue de l’autre et s’en allait la suspendre sur la  toiture de la case du chef. La moitié de la tortue ainsi adjurée était le «  témoin de la paix ». Malheur à celui qui viendrait la troubler. Chaque fois qu’il y avait tentative de  guerre entre les communautés ayant conclu un tel accord, il suffisait de prendre la tortue à témoin pour que les parties en conflit révisent leur position ».

Les écailles et les ossements de la tortue étaient conservés par les ancêtres qui s’en servaient comme gris-gris ou fétiches. Ils interdirent donc à leur descendance de manger la chair de la tortue, car elle était devenue comme une personne rendant justice.

Il faut noter cependant que, les « Mbamois » peuvent manger certaines Tortues.  Les « Bafia » à titre d’exemple, peuvent manger la chair de la tortue aquatique « Kigubsi » qui a une carapace sans écailles.

Notons aussi que, les chefs de famille avaient dans leur concession des tortues qu’ils élevaient. Les neveux venaient les remettre à leurs oncles maternels en échange de deux flèches, signe de bénédiction pour la chasse. La rencontre avec une tortue était un signe de chance lors d’un voyage. Celui qui la trouvait la ramassait et allait la déposer chez ses oncles maternels. On lui faisait manger des remèdes entrant dans les rites consacrés à la tortue.

Fort de tous ses éléments, le « Mbamois » que je suis ne peut pas manger la Tortue, mais simplement la vénérer.

Written by Didier Denguel

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