Les Rencarts : Les journalistes écrivent-ils autre chose que des articles de presse ?
Junior Haussin : Effectivement que les journalistes camerounais écrivent autre chose que des articles de presse. Nous n’avons qu’à regarder aujourd’hui dans le paysage littéraire la présence de quelques journalistes qui ont eu à écrire des romans, des essais, des livres entre autres. Vous avez le cas de Jean Bruno Tagne, vous avez moi-même et tant d’autres qui ont travaillé dans le domaine littéraire en mettant sur pied un ouvrage dans l’objectif de démontrer que la réflexion peut aller au-delà du simple métier que nous faisons.
Y a-t-il, de votre point de vue, une culture de la presse au Cameroun où le journaliste, comme beaucoup ailleurs, est un romancier, un dramaturge ou un essayiste ?
Vous avez une écrivaine comme Aline Fomete qui a au moins trois romans à son compteur. Vous avez aussi Soflane Kegne qui a eu à écrire une autobiographie sur son parcours et son combat contre l’obésité. Ça existe, des hommes et femmes de médias qui écrivent des livres en plus d’écrire des articles de presse. Je pense que les journalistes au Cameroun sont plus plongés dans le journalisme au sens définitionnel du terme. Ce qui est tout-à-fait normal, c’est leur profession. Ceux qui arrivent maintenant à se démarquer en écrivant des livres ont d’autres aptitudes, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Ecrire des livres, devenir auteur relève d’une autre passion, un autre exercice, une autre qualité que l’on développe avec le temps. Je crains que l’on n’ait pas besoin de parler ici d’une culture dans ce sens-là mais de volonté, de qualité, de passion, de décalage. Tout le monde peut vouloir écrire un livre. Mais au Cameroun, nous observons encore que de mieux en mieux il y a des journalistes qui écrivent des livres, qui se démarquent. Toute chose qui est à apprécier et encourager. Et il faudrait ajouter qu’avec la naissance du Réseau international de journalistes littéraires du Cameroun, nous allons arriver à créer justement de véritables spécialités dans le domaine littéraire. Nous aurons désormais des journalistes qui sont spécialisés en littérature, qui se rendront compte que plus ils fréquentent ce milieu, ils peuvent aussi plus tard écrire un livre. Ce qui est hyper intéressant. Notre réseau arrive, je pense, à point nommé pour créer ce mouvement où nous aurons des journalistes qui écrivent des livres, qui sont des romanciers, des essayistes, etc.
La précarité qui est persistante dans l’univers médiatique camerounais n’amène-t-elle pas le journaliste à s’intéresser à des priorités plus rentables qu’un livre à écrire ?
Jean Paul Sartre nous avait déjà averti que l’on n’écrit pas un livre pour se faire de l’argent. Personnellement, je ne pense pas que la question de la précarité se pose. L’écriture est une passion. Je reconnais que métier de journaliste est très dure au Cameroun, avec de très faibles salaires quand ils ne sont pas tout simplement inexistants. Les promoteurs traitent les journalistes en-deca des standards reconnus par les lois qui encadrent notre profession. Mais je doute que la précarité soit la cause justifiant le fait que les journalistes soient occupés par des choses plus utiles ou rentables que le journalisme. On doit d’abord écrire par passion, parce qu’il s’agit d’un amour, que l’on a quelque chose à dire pour changer quelque chose. Quand plus tard viendra le temps pour vous de faire de l’écriture votre métier et que l’on vous considèrera comme un écrivain, l’on saura désormais que c’est grâce à l’écriture que vous vivez et que vous gagnez de l’argent. Pour le moment, nous avons des journalistes qui ont pour passion l’écriture et non l’inverse.