La prose camerounaise fait-elle encore rêver ? La banalité de cette interrogation, pour qui la littérature est une chose qui résisterait à l’effritement du temps, délie pourtant bien de langues qui postillonnent leur désappointement sur l’insipidité de l’écriture d’aujourd’hui. Niaiserie dans l’intrigue, chétivité grammaticale et techniques obsolètes emmurent une littérature camerounaise encore prisonnière du carcan de la pensée unique du Cameroun postindépendant. Cette « littérature du maquis », titre d’une des trois parties de La Nouvelle littérature camerounaise (Nolica) de Pabé Mongo, est restitutive des modes opératoires à l’usage desquels la contradiction par l’encre et la plume passait sous la barbe d’un ahidjoisme liberticide et répressif. Ntermalen ou Tanga, La Ville cruelle dont la ritualisation des vices est narrée par Eza Boto – Nom de plume d’Alexandre Biyidi Awala -, est une délocalisation du Mbalmayo sous régence coloniale. Afrika Ba’a, république corrompue sortie de la plume enfiévrée de Medou Mvomo ou encore l’Africomland de René Philombe – Louis Philippe Ombédé à l’état civil – sont autant de passéismes en toile de fond d’un combat mené contre le despotisme éclairé en vigueur sous les tropiques. L’avènement des libertés politiques qui surviennent à l’orée de la décade 90, point de départ d’un renouveau littéraire qui aurait affranchi les auteurs camerounais de ces masques longtemps revêtus, n’a pourtant rien changé dans les usages. L’illustration de la chèvre qui, libéré pourtant de la corde qui la retenait, ne s’éloignera pas du pieu où elle a été attachée, explique pour le mieux l’étouffement auquel est confrontée une littérature camerounaise qui peine à se déconnecter des spectres du passé.
La Nolica, essai de 167pages, se positionne donc comme une thérapie qui remettra les épistoliers camerounais sur le sentier de la modernité. Une littérature entre les lignes de laquelle figureront Yaoundé au lieu du ringard Ongola, où Douala sera préférée au disgracieux Fort-Nègre et dans les pages de laquelle l’intrigue construite sur les routes cahoteuses du Cameroun des temps actuels est plus représentative que la description féérique de l’eau purulente qui coule dans les égouts d’Ebor Ze, pandémonium au pays des Chauves-souris de Joseph Abanda. Cette littérature, précise Pabé Mongo, devrait aussi s’éloigner de ces « plumitifs », tout-venants qui en saturent les pages par le truchement d’une écriture encline au ragot et dépourvue de créativité. Le camfranglais, star insurclassable des textes de cette époque, est à bannir sans la moindre concession. Les thématiques à l’ère du temps, des personnages qui interagissent avec leur moment et des histoires écrites de mains accoucheuses de rêves et d’espoir.
Si la littérature du maquis a longtemps été l’autel où ont été totémisés des anticolonialistes passés par moult sensations avant de tomber entre quatre planches et sous les projectiles des impérialistes, la Nolica propose une littérature où sont répertoriés les tweets que s’échangeraient deux jeunes amoureux. Une littérature qui s’approprie les singularités de son temps, qui en célèbre les vertus ou en honnit les défauts. Ce terrain dont le labourage a été entamé Pabé Mongo a déjà été rejoint par d’autres plumes qui y enfouissent les graines qui feront germer les prochains fruits de la littérature camerounaise. Une « Légion étrangère » comme il la présente dans son ouvrage et à travers laquelle les couleurs nationales flottent sur le toit de la littérature mondiale. De cette écurie, sont notamment sortis Gaston Paul Effa, lauréat en 1997 du Grand prix littéraire d’Afrique noire ; Calixte Beyala qui a décroché le Grand prix de l’académie des lettres ou encore Patrice Nganang avec son prix Marguerite Yourcenar. Des écrivains de talent s’étant abreuvé à la source de la Nolica et qui portent l’étendard d’une littérature camerounaise réconciliée avec son temps.
in Kalara