Serge Akaba Manga passe les quinze premières années de sa vie dans l’insouciance du lendemain et la certitude que le monde se résume dans le patelin d’Ossua-Si à son père, agriculteur connu dans le coin, et sa mère, institutrice réputée autant pour la douceur qui lui vaut l’estime de ses élèves que par sa beauté physique . Dans ce décor où le matin se lève au chant du coq et s’achève dans le bruissement du bois qu’un feu nourri achève dans un coin mal éclairé de l’arrière-case, Serge a le cœur à ses études et compte braver le challenge du Brevet d’études du premier cycle (Bepc).
Il a d’ailleurs de bonnes notes, notamment en mathématiques et se voit déjà en train de partir d’Ossua-Si pour découvrir Ongola, la grande ville dont parlent tant de gens autour de lui. C’est dans ces projections que surviennent les épisodes les plus difficiles de sa vie. La saison des malheurs commencent avec son renvoi du lycée pour insolvabilité. Quelque chose de nouveau pour cet enfant chez qui tout allait comme sur des roulettes. Serge ne s’en inquiètera d’ailleurs pas, ses parents veillant depuis toujours tels des gardes-chiourmes sur son éducation. Il n’en sera rien cette fois-ci: sorti de la classe de 3e au tout début du deuxième trimestre, il n’y remettra plus les pieds. Que se passe-t-il? Bouches et motus cousues chez ses parents, qui s’échangent en silence des regards réprobateurs comme pour rejeter la responsabilité de cet incident que Manga, le père, feint d’ignorer et qui fait pleurer Chantal Abomo, la maman.
D’autres drames frapperont ensuite à la porte de la famille Manga, s’enchainant à un rythme quasi-infernal: la belle Chantal Abomo, devenue chétive depuis lors, est retrouvée morte dans son lit conjugal. Manga, après l’inhumation de sa femme, annonce à ses enfants que leur maison familiale a été vendue et qu’ils doivent libérer les lieux dans les délais les plus brefs. Où iront-ils vivre désormais, demande Serge, désemparé comme ses cadets par la nouvelle. Aucune réponse jusqu’au jour où les nouveaux propriétaires de la concession arrivent, trouvant Serge et ses frères. Ceux-ci attendront leur père au pied d’un manguier, mais ils ne le reverront plus jamais…
Serge serait-il donc « L’enfoiré » de ce roman de 136 pages, paru aux Editions de Midi, où chaque ligne est un palier de plus franchi vers un mieux-être alors que l’adversité gronde chaque jour dans le creux de l’oreille? Inès Mengue Nemi, l’auteure, s’est servie de sa plume pour exalter les mérites de l’endurance à travers les péripéties que va devoir traverser Serge Akaba Manga, devenu un adulte à quinze ans et qui devra suppléer ce papa devenu introuvable auprès de ces jeunes frères. C’est aussi dans les pages de ce roman où s’évalue la réelle préciosité de la générosité, vertu en perte de vitesse dans les habitudes d’une époque encline au repli de toute sorte.
Mama Rosalie, vieille bonne dame et amie de la défunte Chantal Abomo, personnifie à la perfection l’ange gardien qui ouvrira les portes de sa chaste demeure à ces enfants abandonnés qui deviendront plus tard les siens du fait de l’affection qui naitra et se consolidera au fil des années. L’abbé Gérard, l’autre bon samaritain que Serge croisera sur son chemin et qui lui redonnera la possibilité d’abandonner ses occupations dans les champs et de retourner à l’école, trois années après les avoir quitté.
Un récit entamé avec un allongement de clichés douloureux et qui s’achève dans une succession de nouvelles heureuses pour Serge qui finira par trouver un bon emploi après l’obtention de son Bepc. Une belle histoire dont l’épilogue est un espoir qu’Inès Mengue Nemi propose à tous ceux qui subissent les affres de certaines injustices de la vie mais qui s’accrochent et luttent pour des lendemains moins douloureux. « L’enfoiré » est aussi un bel hommage à la ruralité de l’espace socioculturel fang-beti par le truchement des menus très prisés dans cette aire géographique tels que l’ « Ebass Owondo » (Met d’arachide), le « Ndomba Koass » (Poisson cuit à la vapeur), ou encore les usages vestimentaires à l’instar des « Batoula », ces chaussures faites en caoutchouc et arborés la plupart du temps par les paysans. Un beau livre où se croisent parenté irresponsable, détermination et anthropologie locale, à travers une intrigue écrite avec un style pédagogique et captivant.