André Marie MBIDA
En 1916, Michel-Édouard Slatkine avait quitté la Russie, après les pogroms du tsar Nicolas II. Agent d’assurance à l’époque, il perd l’intégralité de ses titres russes avec la révolution et, pour survivre, doit vendre les livres qu’il avait emportés. Il y a plus de 105 ans, il a ouvert la librairie Slatkine & Fils, située rue des Chaudronniers, qui a été transformée en 2016 en café littéraire. Son fils, Michel, renonça à la médecine afin de soutenir son père. Sous sa direction, la librairie devient connue à l’échelle mondiale en vendant des livres rares et épuisés. Il serait logique que la suite se déroule dans le but de se développer par l’édition d’ouvrages.
Michel-Édouard Slatkine, né en 1933 à Genève, a suivi des études classiques dans sa ville natale. Il a créé les éditions Slatkine Reprint en 1964, qui se spécialisent dans la réédition d’ouvrages anciens. Dix ans après, il fait l’acquisition des éditions Honoré Champion à Paris, éditeur d’érudition, pour compléter l’offre existante et avoir une succursale, ce qui facilite les exportations. Sous la supervision de Jean Dufournet, directeur de collection historique et spécialiste du Moyen Âge, disparu, la maison gardera son identité. Michel-Édouard Slatkine avait mis en place une unité de production en interne afin de développer les réimpressions et d’internaliser l’impression. La chaîne de production numérique de l’unité est devenue intégrale, tant en noir et blanc qu’en couleur, conçue pour les petits tirages. Pendant 30 ans, le stock était considéré comme la richesse d’un éditeur, mais maintenant il est considéré comme un fardeau : le défi actuel est donc de travailler sans.
L’intérêt pour les réimpressions s’estompe à la fin des années 1980, même si des publications sur la culture suisse ont été publiées. Honoré Champion voit alors l’occasion de relancer l’activité en se focalisant sur le champ de l’érudition. Au début des années 1990, le rythme de production de la maison est de 200 nouveautés par an, avec un marché de niche et une clientèle fidèle, proche de celle des réimpressions. De plus, il fonde en 1996 Verticales, une maison d’édition de littérature générale également à Paris, et a fondé en Suisse une société de diffusion d’éditeurs français, Servidis, en collaboration avec Le Seuil.
Les Éditions Slatkine, dirigées par lui, ont publié une trentaine de nouveautés par an, principalement régionales. Les œuvres complètes de Charles Ferdinand Ramuz ont été publiées entre 2006 et 2014, accompagnées d’analyses de chercheurs du Centre de recherches des lettres romandes (CRLR), une entreprise que Michel-Édouard Slatkine considérait comme une véritable reconnaissance dans le domaine littéraire romand. Il a reçu le prix Meylan en 1997, qui récompense une personnalité ayant contribué de manière significative à la vie musicale romande.
Michel-Édouard Slatkine passe la direction générale du groupe au milieu des années 2000 à son fils Ivan – le groupe comptait alors une librairie créée en 1918 – transformée en café littéraire en 2016 –, une société de diffusion-distribution, Servidis, créée au début des années 1990, et une imprimerie intégrée. Il est repris par ses fils Ivan et Michel-Igor Slatkine, qui continuent l’activité familiale dans le domaine de l’édition. Le président de la Fédération des entreprises romandes Genève, Ivan Slatkine, a partagé son émotion avec le Temps en déclarant : « Mon père a toujours été un modèle pour moi, il m’a inspiré et m’inspire dans tout ce que je fais. »
