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Ondoa Kalara: « L’histoire des pays d’Afrique doit être restituée »

L’homme de lettres et promoteur du Forum des acteurs de l’industrie du livre de Yaoundé (Foraly) donne quelques détails sur la 5ème édition de ce rendez-vous qui aura lieu en 2024.

 

« Education: le rôle du livre dans la formation hollistique de l’être humain ». Tel est le thème du Foraly 2023. D’aucuns vous rieraient au nez tout en vous faisant remarquer qu’un livre n’a jamais fait cuire une marmite dans votre pays, le Cameroun…

Ondoa Kalara: Tout part de la prise de conscience. Le livre participe à la formation des Camerounais tant dans les contenus des enseignements que dans leur culture générale. Les écrivains sont des avant-gardistes. Il arrive que des penseurs, les auteurs ainsi que leurs ouvrages exercent un contrepoids sur des questions de développement des affaires sociopolitiques. Exemples pris avec Mongo Beti, Tundjang Pouemi, Calixte Beyala, Mbog Bassong et tant d’autres enncore.

Lire, c’est bien. Mais lire quoi exactement?

Lire des ouvrages qui participent à l’Eveil et qui cadrent avec les priorités en matière de développement du pays et du continent. Cela nous donne la petite occasion d’interpeller le gouvernement sur les contenus du sous-système éducatif francophone. Des ouvrages au programme édités par des maisons d’édition occidentales. C’est visiblement un problème de politique d’éducation publique.

Une formule populaire indique que « pour cacher une vérité à un Africain, il faut la cacher dans un livre ». Info ou intox?

Répondre à l’affirmative serait embrayer sur une conséquence historique. L’histoire des pays d’Afrique doit être restituée, chacune avec ses erreurs. L’Afrique n’est pas un pays mais un conglomérat de peuples, de nations, voire d’États. Il faut restaurer la mémoire historique africaine de manière générale. C’est un travail qui a été entamé depuis la période des indépendances par nos prédécesseurs, des nationalistes et autres panafricanistes. La souveraineté d’un peuple ne se limite pas uniquement sur les aspects macro-économique et politique, mais surtout sur le plan culturel. Ce désaveu ou désintérêt pour le livre trouve aussi ses mobiles dans la non-implication effective des politiques du livre dans la plupart des pays africains. Lors des instances de consécration, combien d’auteurs voyez-vous, et d’ailleurs combien perçoivent-ils? Ce n’est pas un secret que les concours de plastique au Cameroun, en Côte d’Ivoire et dans de nombreux pays d’Afrique remportent la palme en termes de gratification. Turbice Koffi, écrivain ivoirien, a craché par exemple sur une dotation d’un million de francs CFA, car selon lui, cela était ignominieux de prendre cet argent contre une dizaine de millions et d’autres privilèges octroyés à Miss Côte d’Ivoire. Résonner la culture de la lecture n’est pas une mince affaire. Il faut des moyens et des gouvernants et les investisseurs africains doivent s’y impliquer parce que malgré la venue de l’Intelligence artificielle, le livre physique ne mourra pas. Et ce n’est pas anodin que les États occidentaux continuent d’exister en Afrique à travers les contenus de leur culture dans de nombreux programmes scolaires.

Le livre a-t-il encore une place dans un monde soumis à la domination de Facebook, d’Instagram et de toutes ces autres plateformes numériques où s’acquiert l’éducation d’aujourd’hui?

Bien sûr que le livre a sa place. Dans des enclaves sérieuses, en famille ou à l’école, des livres sont disponibles pour la culture de l’individu. Des personnes qui travaillent dans l’industrie numérique, des chercheurs et développeurs d’application de la Silicon Valley ne permettent pas l’usage du Meta (Facebook, Instagram) et Tktok avant un certain âge. C’est une sérieuse menace, reconnaissons-le, parce que les écrans créent une forte addiction et ceci a pour conséquence principale les troubles d’attention. Or, de nos jours, plusieurs enfants sont abandonnés devant la télévision, les tablettes intelligentes parfois aux contenus désobligeants, dépravants, ni de leur âge encore moins de leurs niveaux d’études. Dans ce cas, il serait difficile qu’un enfant prenne une demi-heure de lecture par jour. Mais ce dernier passerait facilement trois heures voire une journée entière sur les réseaux sociaux. C’est un peu comme si on insinuait que l’écriture à la main va disparaître au profit des tablettes, ordinateurs et smartphones tactiles. Tiktok, Facebook, Snapchat et autre Insta ne sont pas mauvais en soi. Mais c’est la culture ainsi que l’orientation de leur usage qu’il faut revoir. En cela, la politique a son rôle à jouer pour restreindre le type de contenus en fonction des aspirations de la politique d’éducation et du modèle de société pensé et voulu.

Pensez-vous que l’industrie du livre au Cameroun a les coudées suffisamment franches pour l’imposer dans la politique du citoyen exemplaire tant clamé par les pouvoirs publics?

Il y a de plus en plus d’esbroufe dans l’édition. Même si tout part de la vision et de la politique du livre à implémenter par les pouvoirs publics. La production d’un livre coûte cher. Remontons les faits. Nous avons des réserves de bois, l’exportons même. Cependant, la production du papier pour imprimer les livres ne se fait pas au Cameroun. Une grosse aberration! Les intrants non plus, entendez par encres et consommables tels que les machines. Nous pensons malgré tout qu’en dépit de l’absence d’implication effective des pouvoirs publics en termes de subvention de la filière Livre et Art littéraire, le gros goulot d’étranglement réside dans la diffusion et le marketing littéraire. Il semble que l’État ait complètement démissionné parce que, figurez-vous, l’accompagnement, même minimale, des acteurs du du livre aurait impacté le public, amenant celui-ci à s’intéresser au livre. Que les acteurs du livre se bougent, sinon rien ne leur sera donné sur un plateau d’or. C’est à eux de trouver des mécanismes pour intéresser les investisseurs et financiers. Terminées, les jérémiades. L’heure est à la résistance et à l’action. Nous n’allons pas nous arracher les cheveux  pour forcer les gens à venir malgré l’investissement que nous consentons à communiquer ici et ailleurs.

Le Sénégal est le pays à l’honneur de cette 5ème édition du Foraly. Qu’est-ce qui lui vaut cette reconnaissance?

Sa réactivité et sa diplomatie (culturelle). De plus en plus, c’est un pays d’écriture et de culture. Le Foraly de la 3ème édition a accueilli une délégation de 4 acteurs du livre, parmi les quels des écrivains, poètes, slameuse et conteuse. Avant la tenue de cette édition, l’ambassadeur du Sénégal au Cameroun, S.E. Khare Diouf, nous a reçu pour discuter des enjeux de la venue de ses compatriotes en terre yaoundéenne. Et une fois au Cameroun, les civilités ont été passées. Après la Côte d’Ivoire en 2023, le Sénégal en 2024. Nous espérons que tout se passera bien nonobstant la météo sociopolitique du pays (élection présidentielle) ainsi qu’au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

 

 

 

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  1. Merci à la rédaction de lesrencarts.com pour l’intérêt accordé à la Littérature et à l’actualité de la 5e édition du Forum International des Acteurs de l’industrie du Livre de Yaoundé FORALY.

    Prenons rendez-vous du 28 Février au 03 Mars 2024.
    Bien cordialement,

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