Dans le vacarme qui a escorté l’opération de déguerpissement ayant eu lieu à Bayon dans l’arrondissement de Baré-Bakem, une image qui suffit à elle seule à traduire le symbolisme que les outils culturels transportent lorsqu’ils sont associés aux bagarres politiques : un tissu Ndop, tenu du bout des doigts par un fils du coin qui en arbore fièrement l’identité, et qu’un feu allumé pour la circonstance incinèrera sous la contemplation d’une autochtonie acclamative. La communauté bamiléké, cible de cet acte survenu le 30 avril passé dans ce village de l’arrondissement de Baré Bakem dans le département du Moungo (Région du Littoral) et dépositaire de cette tenue traditionnelle devenue un emblème qui l’identifie au Cameroun et en dehors, a immédiatement réagi par la voie du La’akam, sa société secrète, qui a rendu public un communiqué à travers lequel s’exprime son indignation. « Profanation d’un symbole du peuple bamiléké et menace du vivre-ensemble », le titre d’une réaction signée à Washington DC le 1er mai dernier et entre les lignes de laquelle s’exprime l’indignation du La’akam au sujet de « la montée de la stigmatisation et la banalisation des discours haineux envers le peuple bamiléké ».
L’épisode de Bayon, localité sans histoire jusque-là où natifs et allogènes se côtoient sans heurts depuis des décennies, appartient à un long feuilleton à l’eau de boudin qui passe en boucle depuis autant d’années qu’existe le Cameroun indépendant. Un terrain où le vivre-ensemble, interminable chantier sur lequel ont travaillé les régimes successifs, est une tour dont les pierres viennent toutes de Babel. En quête de légitimation de leurs discours, de nombreux acteurs politiques se sont longtemps arc-boutés sur le symbolisme des outils culturels, l’objectif étant de se constituer une base de suiveurs. Les clichés les plus visibles à date sont capturés dans les états-majors des formations politiques où s’opère un marketing coloré à l’anthropologie de leurs fiefs. Ni John Fru Ndi, leader du Social Democratic Front (SDF), avait troqué le look du trois-pièces contre la Toghu de ces dernières trente années. Une manière de revêtir cette anglophonie dont il a longtemps été le porte-étendard. Tendance vestimentaire ayant son pendant en pays bassa où la chechia et le chasse-mousse du Mbombock sont de tous les meetings de l’Union des populations du Cameroun (Upc). Quid de ces nombreux festivals parrainés par moult compétiteurs politiques qui y déversent des liasses de billets en même temps que sont glissés avec malignité des messages qui alertent sur le bon choix à faire dans l’isoloir d’une imminente échéance électorale ? Un moyen à l’usage duquel s’acquièrent de précieux suffrages lorsque retentit le tocsin de l’appel aux urnes.
Tribalisme
Cet exercice, réputé fastidieux pour qui connait la débauche d’hypocrisie que s’impose la politique d’opérette, a souvent aussi entretenu le brasier de la division. Exemple pris à l’entame des années 90 lorsque le printemps des libertés répandra son souffle brulant sur le corps social camerounais. En réponse à l’estocade de la Société de défense des intérêts bamiléké, la réaction du mouvement Essingan, creuset de la propagande béti. Les noms que l’on affecte à ces regroupements n’ont rien d’anodin. L’Essingan désigne un arbre de la région forestière du grand-Sud camerounais. Considéré comme le « roi de la forêt » dans la cosmogonie fang-beti, sa transposition dans la sphère politique illustre l’hyperpuissance d’un pouvoir concentré dans les mains d’un bloc identitaire aux pieds duquel échouent toutes les ambitions suprématistes venues d’autres horizons. L’invincibilité que charrie ce mythe hérité du folklore local a irradié le landernau politique, suscitant au passage un culte du veau d’or au Nnom Ngui, autre personnage totémique puissant par sa capacité à inféoder les prétentions adverses et superman de l’imaginaire sorti des grottes. Ces pouvoirs gargantuesques croiseront pourtant l’opposition du Kefen, pois gourmand dans le vocabulaire de la botanique et fleur qui convoie la paix sur tous les sols où elle pousse. Maurice Kamto en recevra quelques tiges un jour de jamboree politique à Bafoussam sur le chemin qui le conduisait vers le palais de l’Unité en 2018. Le patron du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc), perdant de l’élection présidentielle de cette année-là, continuera à se faire flasher par la presse internationale avec quelques branches de cette plante fourragère à la main, éructant à souhait sur la crise anglophone et tant d’autres dérives qui alimentent les sombres pages de la chronique sociale.
Si l’habitude au crêpage de chignons a régulièrement eu lieu sur le sol natal, une tendance à l’externalisation du linge sale qui ne se lave plus en famille prend corps chaque fois un peu plus. Dans le collimateur de certains dictateurs de la pensée, bon nombre d’artistes accusés par les nouveaux fascistes de prêter leurs cordes vocales à l’establishment de Yaoundé dont ils rêvent de la démolition depuis l’espace transalpin où ils vivent pour la plupart. La fratrie Ben et Grace Decca, Coco Argentée et autres Lady Ponce, vedettes en pleine ascension de la musique camerounaise, seront les cibles d’une campagne de boycott de leurs spectacles dans les capitales européennes. Beaucoup d’hostilités sur la toile et des échauffourées avec les forces de police locales. Reproche leur est fait par la Brigade antisardinards (Bas), organisation instigatrice de cette effronterie, de chanter les louanges d’un pouvoir qu’elle rend coupable de tout ce qui ne va pas au Cameroun. Des instrumentalisations où est gravée la culture, passerelle à travers laquelle transitent des querelles politiques en quête de légitimation. Dans la même charrette, « le marché des crânes » auquel fait allusion dans un article Jean Pierre Bekolo, cinéaste devenu la tête de gondole d’une opposition érudite mais qui semble retourner sa plume contre ses compagnonnages du passé. Il s’agit ici d’une marche de chefs traditionnels des Grassfields à Paris. Le réalisateur à succès de Quartier Mozart, dans ce pamphlet écrit sous une plume fiévreuse de laquelle coule une vendetta réparatrice des déceptions antérieures, s’insurge contre cette acculturation qui parade sur un macadam étranger au lieu de de la terre battue locale. «
Qui a autorisé cette marche ? Une marche des chefs camerounais ! Une marche à Paris ! En fait ils ne marchent pas, ils dansent comme des Sioux autour de l’obélisque de la place de la Concorde provenant de l’Égypte pharaonique. Dansent-ils pour célébrer ces camerounais inconnus de la division Leclerc qui ont libéré Paris ce 24 août 1944 et que la France a toujours caché ? Certainement pas. Les chefs camerounais vont parader le 10 juillet à Paris pour célébrer la fin de leur culture « africaine » qu’ils sont obligés d’aller montrer à ceux qui l’ont neutralisé », avait-il écrit dans un style qui effleure l’outrage .