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Unité nationale : Le Cameroun en chœur et sur scène

Brève historique des musiciens qui ont valorisés le pays-Char des dieux dans leurs œuvres.

« La musique est la seule chose qui ne nous fait pas peur d’aller vers l’autre ». Kareyce Fotso, à travers son album Mokta sorti le 20 Mai 2022, résume avec poésie les plus-values de l’art musical dans l’apaisement des cœurs, surchauffés depuis quelques années par la xénophobie qui meuble le discours politique au Cameroun. Si l’affrontement semble inévitable entre l’autochtone et l’allogène, la suave polyphonie d’un chœur rapproche les cultures, les fédèrent au bas d’une estrade et évacuent les fausses notes d’un quotidien rongé par la suspicion et la haine d’autrui. Des décibels de paix et d’unité qui ont régulièrement cassé les murs à l’abri desquelles se sont très souvent calfeutrés des marchands de haine et d’exclusion.

A la baguette de ces compositions où le flow est une ode à la nation, les ténors du show dans un Cameroun fraichement indépendant. La musique, dans ce pays tenu en bride par un pouvoir ahidjoïste en guerre contre la subversion, célèbre le « grand camarade » d’alors, conscience matricielle de l’Etat et phare sous l’éclairage duquel progresse le Cameroun. Dans les studios de Radio Cameroun et d’Afrik Ambiance, les rares de l’époque, la patrie est en sol majeur. La grande gandoura blanche est magnifiée notamment au son de la harpe de Boukar Doumbo, griot et laudateur d’Amadou Ahidjo ; mais à qui reproche fut fait d’avoir retourné sa veste au profit du successeur Paul Biya aux sombres heures de l’après-dévolution du pouvoir. « Sa fidélité aux dirigeants en poste fut une attitude réaliste qui lui permit de revenir sur la scène et de gérer tant bien que mal sa survivance quotidienne de griot, somme toute indigent », explique l’historien Issa Souaibou dans Boukar Doumbo : griot, historien-conteur et laudateur de l’élite au Nord-Cameroun (in Africultures, 2004). Les gammes dans les partitions s’écrivent donc sous la plume d’un prosélytisme acquis au culte du veau d’or. Un exercice pour troubadours sur scène qui ouvrira les grilles du palais présidentiel à certains. Golé Nyambaka, cantatrice peuhle et fervente militante de l’Union nationale camerounaise (Unc) dont elle fut l’une des égéries, ira parfaire sa musique dans des conservatoires européens sur instruction d’Ahmadou Ahidjo, premier fan de la chanteuse.

Le Cameroun sera bassiné ainsi dans ce patriotisme en chanson où sont fredonnés des cantiques à la gloire du capitaine. « Le président, c’est l’Etat », répond François Sengua Kuoh, proche collaborateur d’Ahmadou Ahidjo, à ce journaliste qui lui demandait de justifier le gazage des maquis bamiléké et bassa où se terraient des combattants de l’Union des populations du Cameroun. Une prescription qui restera fixée sur les cordes de la guitare d’André Marie Talla, auteur de 20 ans de progrès. Prince Nico Mbarga, l’Elvis Presley camerounais, ajoutera un sol majeur à ce concert de louanges avec Le père de notre pays, le Cameroun. A leurs mélomanes, les chanteurs camerounais apprennent la dévotion au drapeau et à celui qui le tient, à éviter le bannissement auquel les exposeraient des propos hostiles au « père de la nation ».

Paul Biya

L’occasion faisant le larron, les musiciens se trouveront une autre tête de gondole au matin du 6 novembre 1982. Rigueur, un titre de Ngallé Jojo, accueillera Paul Biya à sa sortie de l’Assemblée nationale où il prêtait serment en tant que deuxième président du Cameroun. L’évènement, historique du point de vue de l’épais curriculum vitae du successeur constitutionnel d’Ahidjo, crée une émulation dans les studios d’enregistrement. Une perestroïka à la camerounaise transposée sur le vinyle des frères Marie et Archange de Moneko. « Va de l’avant », hagiographie d’un Cameroun qui luit sous un soleil nouveau, continue à résister à l’usure du temps grâce aux éditions d’information du poste nationale de la Cameroon Radio Television (Crtv), le média à capitaux publics, qui utilise la version instrumentale de la chanson comme indicatif. Les gouailleurs de la discographie camerounaise, Monazang en l’occurrence, relateront avec dérision l’échec des Jeunes officiers pour la survie de l’Etat (Jose) dans leur tentative de renverser le nouvel ordre régnant. Trompettes, balafons, flutes, tamtams et koras arrosent l’auditoire de rigueur et de moralisation.

Le nouveau président, contrairement à son devancier, est une tête forgée dans le marbre de l’érudition, passé par les campus parisiens et qui adule la musique classique autant que les parcours de golf et les randonnées à vélo. Un cliché bon- chic-bon-genre qui masque mal pourtant une situation de monolithisme politique. Les funestes pénitenciers de Mantum et de Tcholliré où se passait une « rééducation politique » à la matraque et aux travaux forcés n’avaient pas encore fermé leurs portes. Un full package d’ostracisme et de libertés espérées qui explosera aux visages de certains musiciens, outrecuidants dans des textes qui commentent ouvertement les incomplétudes d’un régime en proie à une grave crise économique et au retour tapageur du multipartisme à l’orée des années 90. Lapiro de Mbanga, « Ndinga Man » pour ceux qui scandent son nom dans les villes mortes, passera quelques mois de détention à la prison centrale de New-Bell pour avoir décrié la corruption, les détournements de fonds publics et les voleurs à col blanc qui vivraient sous l’ombre du Chef de l’Etat. Un sort presqu’identique réservé à Sala Bekono, qui questionne dans un bikutsi hardcore intitulé Mot Nnam (L’homme du pays en langue éwondo) les dix années d’un magistère un brin essoufflé par cette course au développement qu’il perd à tous les coups.  L’Etat de grâce semble être donc révolu. La laudation au pouvoir disparait des chants.

Jeunes générations    

Surfant toujours sur la vague de la contestation et de la critique, les musiciens du printemps des libertés au Cameroun deviendront les sentinelles d’un peuple confronté à tous les maux. Lettre au président du rappeur Valsero est un brûlot où sont compilées toutes les peines du pays. Un procès sur la sellette duquel sont assis Paul Biya et tous les apparatchiks de son écosystème, coupables désignés des disparités qui ont fragmenté le corps social camerounais. Une gouvernance adossée à la reptation et de laquelle sortiront des Brutus en puissance, comploteurs vivant à proximité du fauteuil du capitaine et sous-fifres à la solde d’intérêts étrangers. Cette description du Cameroun d’en-haut est d’Elu du peuple de Krotal et de Sultan Oshimin, artistes appartenant à une génération qui n’a pas connu les années dorées de croissance économique sous Ahidjo et à qui l’on communique la nostalgie d’une époque mieux lotie que celle actuelle. Une jeune génération constituée de banlieusards des quartiers défavorisées (Je ne suis pas boboh de Nernos le Kamsi, Je suis une go du ghetto d’Ak Sang Grave) qui s’indignent d’un Cameroun dont ils esquissent les traits au vitriol (Cameroun quel image de Jah Missah Le Bronx) et où les besoins primaires sont perpétuels (Quelle école de Sultan Oshimin).

Ce florilège de musiques à charge aura aussi la particularité d’être une invite à une prise de conscience nationale face aux périls qui ont si souvent cognés à la porte du pays. Touche pas à mon pays de Valsero est une contre-attaque en décibels aux moudjahidines de la secte terroriste Boko Haram aux premières heures de son incursion sur le sol camerounais. Mr Leo, dans Pray, convie la communauté nationale à implorer l’intervention du Ciel, ultime recours pour un rétablissement de la paix dans les régions en crise du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Une prière formulée également dans We need peace, titre d’un collectif réunissant Salatiel, Blanche Bailly, Mink’s, etc. Un engagement au service de cette cause nationale qui a ses soldats sur les estrades à l’instar de Krotal, laudateur des couleurs nationales dans Vert-Rouge-Jaune.

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